Histoire

Bill Russell et les Hawks, destins liés

Le 31 juillet 2022, le basket a perdu un de ses grands noms en la personne de Bill Russell, décédé à l’âge de 88 ans. Immense joueur sur les parquets, grand activiste en dehors, il est une légende de la NBA et de la franchise de Boston, où il a joué l’entièreté de son immense carrière. Toutefois, comme beaucoup l’ignorent, ce n’est pas par les Celtics que « The good Lord » a été drafté, mais par les Hawks (à l’époque basés à Saint-Louis). Pour lui rendre hommage à notre manière, nous revenons sur son transfert qui a changé l’histoire de la Grande Ligue. Un énorme « What if ? » pour notre franchise, dont l’histoire aurait pu être bien plus chargée. 

La draft 1956

Après avoir révélé une partie de son potentiel de basketteur au lycée, Bill Russell reçoit une offre de l’université de San Francisco, qu’il rejoint en 1953. Excellent rebondeur, gros contreur et défenseur intelligent, il se distingue rapidement comme l’un des meilleurs joueurs du championnat. Après trois belles années universitaires ponctuées par deux titres en 1955 et 1956, le jeune pivot décide de se présenter à la draft 1956.

Son profil tape directement dans l’oeil de Red Auerbach, l’entraîneur de Boston, qui voit en lui le joueur idéal pour pallier les faiblesses défensives de son équipe. Ne disposant que du septième choix suite à leur deuxième place lors de la saison régulière 1955-56, les Celtics décident de monter un transfert pour récupérer Bill Russell. Afin de s’assurer que les Rochester Royals (aujourd’hui Sacramento Kings) ne sélectionnent pas le pivot avec leur first pick, le propriétaire des Celtics, Walter Brown, fait une offre particulière à Lee Harrisson, propriétaire des Royals : si ce dernier acceptait de ne pas drafter Russell, Walter Brown enverrait le groupe de musique des Ices Capades (dont il était alors le président) à Rochester pendant une semaine. C’est ainsi qu’en l’échange d’une tournée musicale, les Royals acceptent de faire l’impasse sur Bill Russell en sélectionnant le meneur Sihugo Green.

Suite à cet impensable accord conclu avec les Royals, les Celtics entament les discussions avec les Hawks, qui disposent du deuxième pick de cette draft, avec lequel ils sélectionnent Bill Russell. Après de longues négociations entre les dirigeants des deux franchises, ceux de Saint-Louis acceptent de se séparer du joueur qu’ils viennent de drafter. En échange, les C’s envoient le pivot Ed Macauley et le futur rookie Cliff Hagan, qui doit faire ses débuts en NBA après avoir servi l’armée pendant deux ans.

Bill Russell (à droite) signant son premier contrat avec les Celtics en compagnie de Walter Brown (à gauche)

Bill Russell quitte donc les Hawks quelques semaines après sa draft, sans avoir joué un seul match sous leur maillot. Mais « ce n’est qu’un au revoir », non pas parce qu’il reviendra dans la franchise qui l’a fait entrer en NBA, mais parce qu’il la rencontrera à de très nombreuses reprises les années suivantes. 

La naissance de la dynastie de Boston et les affrontements Celtics-Hawks

Après avoir performé en saison régulière mais échoué en playoffs les six années précédentes, les Celtics semblent enfin armés pour remporter le titre. En récupérant Bill Russell, ils se renforcent en effet considérablement dans le secteur qui leur faisait défaut depuis plusieurs saisons : la défense. Avec son intelligence de jeu et ses qualités de contre et de rebond, le jeune pivot s’impose très vite comme le pilier de la défense de Boston. Red Auerbach ne s’est pas trompé, sa recrue a exactement le rendement attendu. Ainsi, les C’s réussissent une très belle saison régulière avec 44 victoires pour 28 défaites, soit le meilleur bilan de la ligue. 

Après avoir dominé les Syracuse Nationals en finale de division Est, Bill Russell et les Celtics se hissent en finales NBA, où ils rencontrent les Saint-Louis Hawks, vainqueurs à l’Ouest. Face à l’équipe qui l’a drafté moins d’un an auparavant, Russell ne fait pas dans les sentiments. Très précieux en défense, il réalise une véritable moisson au rebond avec 23 unités de moyenne sur l’ensemble de la série. Il se montre particulièrement important lors du game 7 en récupérant 32 rebonds et en réalisant la plus belle action de sa jeune carrière : « The Coleman play ». Alors que les C’s sont menés 101 à 100 à moins d’une minute du terme, le jeune pivot réalise un incroyable retour pour contrer l’ailier Jack Coleman qui partait seul au panier. Suite à cela, il récupère le ballon et inscrit un panier qui permet à son équipe de repasser devant, et de finalement s’imposer 125-123 après deux prolongations. Dès sa saison rookie, Bill Russell offre ainsi à la franchise de Boston le premier titre de son histoire, le 13 avril 1957. 

Le « Coleman play » de Bill Russell

L’année suivante, les Celtics continuent de performer : ils terminent la saison régulière avec le meilleur bilan de la NBA (49-23) et le sophomore Bill Russell est élu MVP. De leur côté, les Hawks décrochent la première place de la division Ouest avec un bilan de 41 victoires pour 31 défaites (record de la franchise). Comme en 1957, Boston et Saint-Louis se retrouvent en finale après avoir facilement remporté leurs finales de division respectives. La confrontation entre les deux équipes est une nouvelle fois très disputée, mais un coup du sort vient bousculer l’équilibre de la série : lors du match 3, Bill Russell subit une blessure à la cheville qui lui empêche de disputer les deux rencontres suivantes. Malgré son absence, les Celtics parviennent à rester en vie dans la série en remportant le quatrième match. Russell revient pour le game 6, alors que Saint-Louis mène 3-2 dans la série, mais ne peut rien face à la domination totale de Bob Pettit : l’ailier fort des Hawks inscrit 50 points et offre à sa franchise son premier (et seul…) titre NBA, le 12 avril 1958.

Les Saint-Louis Hawks de la saison 1957-1958, avec notamment Bob Pettit (n°9), Cliff Hagan (n°16) et Ed Macauley (n°20).

Ils ne le savent pas encore, mais les joueurs de Saint-Louis viennent de réaliser un véritable exploit : remporter un titre face à la dynastie installée par Boston entre la fin des années 1950 et la fin des années 1960. En effet, après leur défaite lors des finales de 1958, Bill Russell et les Celtics remportent 10 titres en 11 ans, dont 8 consécutifs. Probablement la plus grande dynastie de l’histoire de la NBA, à laquelle les Hawks ont tenté de s’opposer, mais face à laquelle ils se sont brisés les ailes à trois reprises (défaite en finales en 1957, 1960 et 1961). Une narrative d’autant plus folle que ce sont eux qui ont drafté Bill Russell, le meilleur joueur des C’s durant cette longue période de domination.

What if ?

Mais qu’en aurait-il été si le transfert de Bill Russell de Saint-Louis à Boston n’avait pas eu lieu ? Les Hawks auraient-ils plusieurs titres à leur palmarès ? Les Celtics en auraient-ils moins? Bill Russell serait-il quintuple MVP ? Il est évidemment impossible de refaire l’histoire, mais les questions que soulèvent le transfert de « The good Lord » à Boston sont nombreuses. 

Pour les fans des Hawks, difficile de ne pas en vouloir à Ben Kerner, l’ancien propriétaire de la franchise, qui a accepté de transférer Bill Russell. Si le deal pouvait paraître juste à l’époque, il est aujourd’hui évident que Saint-Louis a perdu au change : Ed Macauley et Cliff Hagan ont beau être d’immenses joueurs et avoir rendu de fiers services à la franchise, ils n’arrivent pas à la cheville de la légende qu’est Bill Russell. Avec le plus grand gagnant de l’histoire dans leur camp, les Hawks auraient certainement pu enrichir leur palmarès, qui est aujourd’hui plutôt maigre (1 titre de champion NBA en 4 finales disputées). Sans compter qu’une raquette Bill Russell – Bob Pettit aurait probablement été l’une des plus dominantes de l’histoire de notre sport.

Du côté de Boston, on peut légitimement penser que la dynastie des Celtics n’aurait pas été telle si Bill Russell ne les avait pas rejoints. Sans manquer de respect aux légendes que sont Tom Heinsohn, Jim Loscutoff, Bill Sharman, Bob Cousy ou encore KC Jones, il est difficile d’imaginer voir les C’s remporter leurs 11 titres en 13 ans sans « The good Lord ». On peut également avoir la réflexion inverse en se disant que s’il n’avait pas joué à Boston, Bill Russell ne possèderait peut-être pas le plus grand palmarès de l’histoire de la NBA.